par Malcolm Torry | 23 Juillet 2020 

Traduction par Christine Cayré

On peut lire l’article par Widerquist et Arndt ici

Widerquist et Arndt s’appuient sur un exercice de microsimulation pour estimer le coût net d’un Revenu de Base de sécurité minimum pour le Royaume-Uni (7 706 £ par an pour les adultes et 3 853 £ pour les enfants) qui s’élèverait environ 67 milliards de £ par an, soit 3,4% du PIB. Le document apporte une contribution utile au débat actuel sur la faisabilité financière de la mise en oeuvre d’un Revenu de Base au Royaume-Uni.

Les auteurs reconnaissent à juste titre que leur proposition n’est pas parfaitement articulée pour être politiquement acceptable et réalisable. Cela est vrai. La politique britannique des avantages sociaux est très dépendante des trajectoires précédemment engagées et elle se maintient dans la direction actuelle en raison de l’extrême complexité des systèmes d’impôts et d’avantages sociaux. Tout changement est généralement acceptable quand il est progressif, ce qui devrait être particulièrement crucial au cours des prochaines décennies. Les difficultés que le gouvernement a rencontrées pour tenter de fusionner une poignée de prestations sous conditions de ressources dans le nouveau « Crédit Universel » lui-même sous conditions de ressources, illustrent bien cette nécessité. Seul un Revenu de Base entraînant peu de modifications des mécanismes existants serait susceptible d’être mis en œuvre au cours des prochaines décennies, quelle que soit l’idéologie politique du gouvernement. Le schéma de Widerquist et Arndt exigerait de nombreux changements majeurs dans tous les systèmes, ce qui le rend peu susceptible d’être accepté en l’état.

Certains aspects particuliers de la proposition la rendraient encore moins réalisable politiquement. Les auteurs sont d’une honnêteté louable quant à l’impossibilité politique de proposer un taux de base de 50 pour cent pour l’impôt sur le revenu. Il serait également impossible de supprimer les cotisations et les Prestations Sociales Nationales telles que la pension de retraite, même si celle-ci serait remplacée par un nouveau Revenu de Base pour les personnes âgées. L’Assurance Nationale est un concept profondément ancré dans la psyché britannique, et tout gouvernement qui la dénaturerait en subirait les conséquences. Il n’est pas anodin de constater que lorsque la nouvelle Pension d’État à niveau unique, qui est très proche d’une Pension Citoyenne, a été mise en œuvre, le principe de conditionnalité de cotisation aux prestations d’Assurance Nationale a été conservé.

Dans ces circonstances, la seule option est de conserver le système d’Assurance Nationale : il serait toutefois politiquement envisageable de rendre ce système plus équitable, par exemple en lissant le taux des cotisations quelle que soit la fourchette des revenus, plutôt qu’en appliquant un taux réduit pour les hauts revenus.

Les auteurs proposent un mécanisme de « sécurisation» pour garantir que les ménages à faible revenu qui auraient pu être lésés par les nouvelles modalités proposées ne le soient pas.  Les auteurs proposent en effet la suppression de toutes les prestations sociales soumises à conditions de ressources existantes à l’exception de l’allocation logement et autres pensions d’invalidité ce qui engendrerait une perte pour les ménages.  Le problème est qu’ils ne précisent comment ce mécanisme de « sécurisation » serait mis en œuvre. Le seul moyen réalisable de parvenir à un tel procédé serait de réintroduire une prestation sous conditions de ressources qui refléterait les avantages ayant été supprimés. On pourrait objecter que le simple fait d’enregistrer le revenu disponible de chaque ménage au moment où le programme est mis en œuvre serait suffisant, mais cela n’indiquerait aux administrateurs que le montant à payer au démarrage. Cela ne prendrait pas en compte les impacts du passage de l’ancien au nouveau système une fois que la situation des ménages aurait commencé à changer. Seule l’attribution d’une prestation sous conditions de ressources pourrait le permettre. Le gouvernement britannique a déjà trouvé assez difficile de combiner quelques prestations existantes soumises à conditions de ressources en une forme unique nouvelle. Supprimer la plupart des prestations existantes, puis en créer une entièrement nouvelle en créant simultanément des Revenus de Base tout en modifiant le système fiscal, serait administrativement et donc politiquement impossible.

L’article présente une discussion utile sur la différence entre le coût brut et le coût net de la mise en place du Revenu de Base. Il souligne à juste titre qu’un trop grand nombre de commentateurs ne comprennent pas l’importance de la différence. Les auteurs calculent que le coût net de leur programme serait de 67 milliards de livres sterling par an. Cela pourrait ne représenter que 3,4% du PIB, mais il faudrait tout de même les trouver quelque part. Des suggestions sont faites à la fin du document : l’une d’elles est que les 67 milliards de livres sterling soient financées par les 30 pour cent des contribuables les plus riches. Aucun gouvernement ne prendrait le risque de s’aliéner un tel groupe d’électeurs juste pour rendre la proposition faisable. Il faudrait plutôt envisager de partager la charge sur l’ensemble de la fourchette des revenus, mais pas nécessairement via un impôt supplémentaire sur le revenu. Ce que les auteurs ne semblent pas réaliser, c’est que, quelle que soit la provenance de l’argent, cela aurait un impact sur le niveau de vie des ménages. Par exemple, supposons que des taxes à la consommation supplémentaires ou une nouvelle taxe carbone soient créées pour combler l’écart. Dans les deux cas, les prix augmenteraient, les revenus disponibles des ménages seraient affectés et cela fausserait les statistiques mentionnées dans le document de référence qui évalue les niveaux de pauvreté ainsi que le calcul de variation du revenu des ménages. Seul serait entendable un mécanisme de Revenu de Base qui spécifierait pleinement la méthode de son financement et qui calculerait les réductions de l’Allocation Personnelle,  les augmentations des taux de l’impôt sur le revenu et autres impacts, pour aboutir à un coût net nul. Cela assurerait que les statistiques sur les niveaux de pauvreté, les gains et les pertes des ménages, etc., générés par la microsimulation seraient celles qui seraient réellement visibles lors de la mise en œuvre du programme. Un régime dont le coût net est supérieur à zéro nous fait totalement douter des effets du mécanisme. Cela signifie qu’aucune des statistiques résultantes du mécanisme étudié dans cet article, ne nous semble fiable.

Il existe deux manières d’aborder la question de la faisabilité financière des mécanismes de Revenu de Base:

1. rechercher les effets d’un mécanisme particulier et ensuite décider s’il serait faisable

2. définir des critères de faisabilité et ensuite rechercher un mécanisme qui correspondrait à ces critères.

La deuxième de ces approches est celle qui respecte la méthode scientifique et c’est donc celle qui devrait être recommandée aux chercheurs en sciences sociales. Le document à l’étude utilise la première des deux méthodes. Pour autant que l’auteur de la présente analyse le sache, seule sa propre recherche suit la deuxième méthode – un fait qui ne le surprend pas car la deuxième méthode peut nécessiter des jours de test de schémas alternatifs avant qu’un schéma qui corresponde aux critères puisse être trouvé. Il est par ailleurs toujours probable qu’aucun schéma ne soit trouvé dont la faisabilité soit avérée. Widerquist et Arndt font référence à un article de 2019 qui utilise la deuxième des deux méthodes. La recherche la plus récente de ce type peut être trouvée ici.

Widerquist et Arndt doivent être félicités pour leur contribution à la robuste tradition de recherche sur la faisabilité financière du Revenu de Base au Royaume-Uni. Si des recherches plus poussées devaient avoir lieu, en tenant compte des réticences évoquées dans la présente analyse et en utilisant la deuxième des deux méthodes décrites dans le paragraphe précédent, alors ces recherches pourraient apporter une contribution encore plus significative.


On peut lire cette critique en anglais ici.